10 décembre 2024

Le mercato algérien connaît une flambée de salaires déraisonnables très inquiétante

Surcote, le stade de non-retour 

Le mercato estival a déjà commencé en Algérie. Et les clubs dopés par l’argent de l’État ont démarré sur les chapeaux de roues. Le salaire mensuel dépassant le demi-milliard de centimes (5 millions de dinars) est devenu une « norme ». Et cela ne choque (presque) plus personne. Au moment où notre football patauge dans les bas-fonds, les émoluments ne semblent pas avoir de plafonds. Les autorités devraient peut-être penser à mettre de l’ordre dans un grand souk où le denier public est tout bonnement dilapidé.

Par Mohamed Touileb

L’an dernier, la signature de de Youcef Belaïli au MC Alger avait fait les choux gras de la presse. Le milieu offensif avait paraphé un bail pour plus d’un milliard de centimes/mois. Certes, le rapport financier officiel de la SSPA/Le Doyen mentionne bien que le natif d’Oran perçoit 7.5 millions DA en mensualité. Mais, plus loin dans le bilan financier, on retrouve une prime de 85 millions de dinars sans que sa destination n’en soit mentionnée.

Même pas des internationaux A

Selon nos informations, ce montant de 8.5 milliards représentait une prime de signature de Belaïli, arrivé libre, dont une partie aurait servi à régler son litige financier avec Al-Ahli SC (Arabie saoudite). Quand on fait les comptes en divisant ce montant sur 12 mois, on conclut que le salaire de Belaïli a été estimé à 1.2 milliards de centimes chaque mois.

Un an plus tard, on s’aperçoit que cette arrivée a ouvert la voie à une surenchère « prime » loin des standards. Cette pratique existait déjà auparavant. Mais on constate que la courbe salariale est clairement et dangereusement exponentielle. Tout cela se passe sous le regard des instances sportives qui ne bougent pas le petit doigt pour tenter de réguler le mercato algérien. Avant, les clubs se « renforçaient » en changeant plus 50% de leur effectif chaque saison. Aujourd’hui, on peut s’attendre à ce qu’il y ait moins de recrues tout en accédant à des exigences financières stratosphériques pour des footballeurs qui ne sont même pas des internationaux A (Belaïli l’est, ce qui rend sa cote un peu plus élevée).

En effet, l’USM Alger a enrôlé Ilyes Chetti (défenseur) pour un salaire de 600 millions de centimes/mois (6 millions DA). Lui dont la carrière « pro » n’a jamais décollé. Que ce soit après son départ vers le SCO d’Angers (France) où son aventure du côté du Wydad Casablanca (Maroc). C’est aussi en provenance de la formation casaouie que Zakaria Draoui (milieu de terrain) a signé au MC Alger pour une mensualité de 800 millions de centimes (8 millions DA) alors que certaines sources parlent de 55 000 €. Là, on ne parle donc même pas d’attaquants qui devraient être les plus chers sur le marché d’après les normes (il y a quoi de normal et cohérent en Algérie en fait ?) mondiales.

Charaf-Eddine, la morale paradoxale

Aussi, du côté de la JS Kabylie, que détient l’entreprise nationale de la téléphonie « Mobilis », Gaya Merbah (gardien de but), est arrivé depuis le Raja Casablanca contre 5 millions DA/mois. Et il est à noter que les agents, qui jouent les (dé) régulateurs du marché, de ses joueurs ont fait en sorte qu’il y ait une surenchère pour faire signer leurs clients. Un phénomène que Amara Charaf-Eddine, ancien président de la Fédération algérienne de football (FAF) mais aussi patron de « Madar Holding » qui détient la plupart des parts du CR Belouizdad, a relevé et dénoncé. Selon lui, il y a « les agents qui bluffent », « les joueurs qui jouent le jeu » et les « recruteurs conscients ou inconscients ». Et Amara a plaidé pour « une Charte d’éthique dans le football professionnel » en déplorant que « les faits, déclarations et gestes des acteurs du football vont de l’invective, aux accusations et à la violence verbale. Les supporters, guidés que par les résultats immédiats de leurs clubs, exigent toujours les meilleurs joueurs et entraîneurs, et les plus chers, sans se rendre compte des limites matérielles et sociales des Clubs. Médias et réseaux sociaux soufflent sur le brasier et attisent le feu. Où va-t-on ? Une Charte d’éthique et de déontologie du football est plus que jamais nécessaire et d’actualité ».

Le marché… sur la tête

Il y a des parts de vérité dans ce constat. Mais on peut aussi relever que le CR Belouizdad n’est pas le mieux placé pour donner des leçons de recrutement quand on voit les flops cumulés ces dernières saisons dans ce domaine. Que ce soit des entraîneurs qui n’ont pas fait long feu ou des joueurs comme M’Bolhi, Guedioura, Darfalou, Boutemène, Jallow et d’autres qui n’ont rien apporté et pris des centaines de milliers d’euros en salaires confondus, le board du Chabab compile les erreurs stratégiques. Il n’y a pas à dire ce marché, là, marche sur la tête et c’est le moins que l’on puisse dire.

Hadj-Redjem et le siphonage

On remarque bien que les équipes ayant des moyens financiers conséquents, permis par l’injection d’argent des entreprises (qui est celui du contribuable), se font « plaisir » sans se soucier car leurs dirigeants ne puisent pas dans leur argent personnel. Cela aurait certainement changé la donne et fait en sorte que ces (supposés) chairmen se montrent plus mesurés quand ils font des offres. Au Mouloudia par exemple, Mohamed Hakim Hadj Redjem, président du Conseil d’Administration, siphonne littéralement le pipeline d’hydrocarbures pour payer les camarades de Zakaria Naïdji. Ce sont les pauvres qui paient les riches. Et la tendance devient universelle. Un pousseur de ballon touche 100 fois plus qu’un mec qui travaille sous une chaleur accablante sur une plateforme pétrolière au fin fond du Sahara, pour extraire du pétrole.

Récemment, après la victoire de l’Uruguay, qu’il coache, en quart de finale de la Copa America face au Brésil, le Professeur Marcelo Bielsa, a décliné un constat pour le moins lucide et véridique. « Qu’est-il arrivé au football ? Que s’est-il passé avec ce football, qui est essentiellement une propriété populaire ? Les pauvres ont très peu accès au bonheur parce qu’ils n’ont pas d’argent pour l’acheter. Le football, parce qu’il est gratuit, est d’origine populaire. Ce football, qui est l’une des rares choses que les plus pauvres gardent, ils ne l’ont plus. Parce qu’Endrick s’en va à 17 ans, pareil pour l’ailier de Palmeiras (Estevão)… », explique-t-il.

« Créé par les pauvres et volé par les riches »

D’après lui, « de plus en plus de gens regardent le football, mais il devient de moins en moins attrayant. On ne privilégie pas ce qui en a fait le premier sport au monde. On favorise le business, car le business, c’est que beaucoup de gens regardent les matchs. Mais avec le temps, il y a de moins en moins de footballeurs qui valent la peine d’être regardés, le jeu est de moins en moins agréable, et cette augmentation artificielle du nombre de spectateurs sera réduite. Le football, ce n’est pas cinq minutes d’action, c’est bien plus que cela, c’est une expression culturelle, une forme d’identification ». Désormais, un jeune chômeur qui se démène pour gagner sa vie s’identifie à un multimillionnaire qui vit hors-sol et déconnecté de la réalité. Il encourage des footballeurs qui n’ont même plus la notion de passion car ils vont constamment chez le plus offrant. Le paradoxe est là. « Le football est un sport qui a été créé par les pauvres avant d’être volé par les riches », est un état réel des faits.  Sauf que les « riches » de l’Algérie du football jouent avec un argent qui n’est pas le leur.

M.T.

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