Ali Malek (71 ans) président de la Ligue nationale de football au tout début des années 2000 est un vieux routier du football national qu’il connait dans ses moindres recoins. Cet ancien arbitre a gravi tous les échelons menant vers les plus hautes responsabilités du football algérien. Membre des 6 qui avaient dirigé la FAF durant les années sombres (1995), il avait été élu une première fois à la tête de la LNFA en juillet 2011, soit à la création de cette Ligue, une année après le lancement du professionnalisme en Algérie. Mais le 9 novembre 2023, il se retire des affaires du football. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, il nous livre à cœur ouvert les véritables raisons de son départ, ainsi que sa lecture avisée sur différents sujets d’actualité.
Entretien réalisé par Nasser Souidi
Que fait monsieur Malek depuis son retrait de la Ligue nationale de football amateur ?
Je m’occupe de moi-même et de ma famille. Une vie faite de sérénité et de calme. Je me consacre entièrement à moi-même et à mes enfants. Je suis totalement débranché, surtout de ce qui se passe dans la gestion du football. Pas du football en lui-même, on ne peut pas oublier comme ça toute une vie passée dans le football. Je continuerai, jusqu’à mon dernier souffle, à aimer cette discipline.
Accepteriez-vous une nouvelle mission dans la gestion du football national ?
Je vais être franc avec vous. Avec l’équipe en place, surtout le chef, pour tout l’or du monde, je ne pourrais partager quoi que ce soit. Je ne pourrais pas le regarder en face. Parce que notre formation, notre conception du football, a toujours été diamétralement opposée, bien avant qu’il puisse aspirer à diriger la Fédération algérienne de football. De loin, j’ai compris, et il a compris, qu’on ne pouvait pas faire de chemin ensemble.
Donc vous confirmez qu’il y avait un blocage au niveau de la LNFA, et une absence de communication avec les responsables de la FAF ?
Dès le départ, je me suis dit que je ne pouvais pas travailler avec lui. Avec l’insistance des membres du bureau de Ligue, j’ai patienté un peu, mais je leur ai dit qu’il était hors de question. Il voulait placer tout le Bureau fédéral au niveau des Ligues, c’est ce qu’on a vu au niveau de la LFP, la LNFA, même au niveau de la Ligue inter-régions. Je l’ai dit, quand je suis parti, que la prochaine victime, la prochaine cible, serait la Ligue inter-régions. Il veut infiltrer toutes les structures de gestion du football, il croit qu’il sera éternel, mais je ne pense pas qu’il le sera.
Vous voulez dire que l’objectif était d’avoir une mainmise sur ces structures, notamment à travers les nouvelles dispositions réglementaires pour la nouvelle saison ?
Absolument. Malgré que le débat sur le nombre autorisé de joueurs étrangers a toujours été d’actualité au niveau de la Fédération, ce président a insisté et maintenu le nombre de joueurs à trois (3). Par la suite, je ne sais sous quelle pression, comme par hasard, on apprend que la FAF envisage d’en autoriser cinq (5). La décision a été prise par le BF, après les contestations de certains clubs. Le BF a remis le dossier à la DTN, qui a revu ces dispositions et autorisé les clubs à recruter cinq (5) joueurs. La DTN n’a pas le droit, c’est anti réglementaire. Elle n’a pas la compétence pour prendre une telle décision. Donc elle désapprouve le BF ?
Vous ne pouviez donc pas travailler dans de telles conditions…
Nous n’avons pas été à la même école. Moi, j’ai eu une formation contraire à la sienne. Comprenne qui voudra. Nos parallèles ne peuvent pas se joindre, et resteront toujours opposés l’un à l’autre. Moi, j’ai été formé pour respecter la réglementation, strictement, lui, il a une autre conception du fonctionnement de la vie, particulièrement du football. Donc, on ne pouvait pas cohabiter ensemble.
Y a-t-il des choses que vous regrettez de ne pas avoir pu accomplir quand vous étiez en poste à la tête de la LNFA ?
Tout ce que je voulais faire, je le faisais. Je voulais faire du bien dans la gestion du football et son développement, à travers toutes les Ligues que j’ai eu l’honneur de présider. La Ligue régionale, la Ligue inter-régions que j’avais fondée, et la Ligue nationale que j’avais fondée en 2011. J’ai travaillé avec un groupe d’hommes compétents, des fils de bonne famille. On a fait beaucoup de bonnes choses. Mais aujourd’hui, les choses ont changé, ce bonhomme est arrivé, libre à lui de faire ce que bon lui semble.
Pourriez-vous nous donner votre regard sur les récentes accusations de corruption au sein de la FAF ?
Sincèrement, quel que soit mon avis, il ne pourra jamais être juste. Ce ne serait qu’un point de vue. Mais dès le moment où cela est entre les mains de la justice, je m’interdis de donner une opinion détaillée. Mais sincèrement, je serais grandement surpris qu’il puisse y avoir des détournements, je ne pense pas.
Qu’avez-vous à dire sur cette éternelle lutte des clans ? La FAF s’était plainte de campagnes de déstabilisations, par exemple…
La critique est bénéfique pour le développement et l’amélioration de la chose entreprise. Ce qui est grave, ce ne sont pas les réactions de la société et de la famille du football, ce sont ces groupes anormalement constitués qui sont payés pour faire de la gesticulation et de la perturbation. Et là, l’État se doit d’intervenir.
Pensez-vous que la légitimité des membres et des élus est parfois discutable ? Notamment le cumul de fonctions…
La légitimité a été donnée par la décision de l’Assemblée générale, conformément aux statuts de l’AG. Concernant le cumul, ce sont les dispositions du ministère qui ne sont pas respectées. Là, c’est une autre paire de manches. Parce que tous les membres du Bureau fédéral actuel sont toujours en cumul, je dirais même plus qu’en double, en triple ! Et à tous les paliers, personne n’en parle…
Quand on parle de réforme du football national et d’acquis depuis l’avènement du professionnalisme, où en sommes-nous ? A mi-chemin ? Ou bien trop loin ?
Pas à mi-chemin, et je ne souhaite pas qu’on soit trop loin. Je pense que nous avons la pâte et une jeunesse compétente. Quand nos centres de formation seront opérationnels, je pense que les fruits que nous attendions pourront éclore dans le football algérien. C’est ce que nous souhaitons pour notre pays. Qu’il y ait des résultats probants pour permettre un développement de notre football dans son ensemble.
Avez-vous senti une amélioration dans la gestion du football national ?
Je ne vois pas d’amélioration, le football continue à être géré comme par le passé. Ce président n’a pas apporté de choses novatrices. Il y a toujours eu des reports de rencontres, des cafouillages dans la gestion du football. Ce que j’ai vu est un échec. Une gestion orientée de la compétition, la preuve ça a failli dégénérer vers la fin, après la levée de boucliers de certains clubs en fin de saison, qui ont senti de la manipulation de la gestion au niveau de la Ligue professionnelle. Heureusement que tout est rentré dans l’ordre.
Un mot sur l’arbitrage ?
Si nos clubs sont bien structurés, que nos arbitres sont bien formés, et leurs connaissances toujours mises à jour avec de bon formateurs, il y aura toujours des améliorations. Mais il y aura toujours des imperfections, aussi. En Europe, qui est la meilleure école, on a vu des erreurs monumentales dans de grandes compétitions. Une erreur d’appréciation ou de lecture, c’est humain, mais pas à longueur de saison. C’est pour ça qu’il faut constamment remettre en cause l’arbitrage et l’alimenter par de meilleures compétences, pour qu’on puisse aspirer à un arbitrage meilleur.
Avant de se quitter, on aimerait profiter de votre grande carrière, qu’avez-vous retenu de tout ce parcours ? Qu’avez-vous appris ?
Durant toute ma carrière dans le football, j’ai fait de très bonnes choses, et on va dire que les choses négatives ne sont pas trop envahissantes. Il n’y en a pas tellement. Dans la famille du football, il y beaucoup de personnes bien intentionnées, qu’il faudra protéger par la réglementation, et tout faire pour dénoncer les personnes négatives qui rôdent autour du football. Il ne faut pas éliminer ces personnes négatives, parce qu’elles sont en réalité bénéfiques, il faut juste savoir comment les maîtriser. Il faut délimiter ce qui est bon de ce qui est mauvais. Le négatif, il ne faut pas lui laisser toute la liberté, pour se développer dans un secteur donné, car il va mener vers l’effondrement. La vie, dans tous les domaines, c’est un combat. Si tu ne combats pas, tu n’iras pas loin.
N. S.
« Dès le départ, le président de la Fédération et moi savions qu’on ne pouvait pas cohabiter et faire du chemin ensemble »
« Tous les membres du Bureau fédéral actuel sont en cumul de fonctions, je dirais même plus qu’en double, en triple ! »
« Pour tout l’or du monde je ne travaillerais pas avec l’équipe en place, surtout le chef »
« Il n’y a pas d’amélioration, le football continue à être géré comme par le passé. Ce que j’ai vu est un échec. Une gestion orientée de la compétition »